Bienvenue

Vous êtes arrivés ici par hasard, au détour d'une page, ou bien après que l'on vous ait suggéré que peut-être, il y avait ici un peu d'un jardin intéressant.


Je n'ai pas d'autre prétention que de vous emporter, pour un instant, dans mon monde. Dans mes mondes.


Bienvenue !

jeudi 26 août 2010

Mourir en paix

L'homme respira l'air marin. Comme à chaque fois qu'il sortait en mer, cette odeur le vivifia. C'était sa façon à lui de se sentir vrai, d'avoir un sentiment d'invulnérabilité.
Cela faisait plusieurs dizaines d'années qu'il sortait ainsi sur son bateau, plusieurs fois par an. Il avait fini par en faire son métier. Courir le globe, découvrir ces eaux inconnues du bout du monde contre un dessin sur ses voiles de son sponsor. Aller toujours plus loin, toujours plus vite. Mieux connaitre son bateau, vivre avec lui, jour avec jour pour caresser la mer du soir au matin et du matin au soir.

Dormir dans un hamac dans le recoin de son bateau ne le gênait plus depuis longtemps. Il connaissait par cœur la structure de celui dans lequel il se trouvait. Son dernier, le plus récent. Il avait eu envie de le tester seul. Un moment privilégié dont il aimait profiter avant le stress de la préparation des courses.
Bien sûr, il y avait eu quelques préludes. Le test à 180°, où il avait eu l'impression de faire tourner le monde depuis sa coque à l'envers. Le matage, fixant l'équilibre de son vaisseau. La bouteille de champagne habituelle, pour baptiser selon un nom prédéfini avec son sponsor. Et un nom officieux qu'il avait peint dans un endroit qu'il était seul à fréquenter.
Mais maintenant, c'était lui et son bateau. Un voyage de noce sur l'eau salée. Une lune d'écume. De plus, la météo avait promis un ciel clément et un vent suffisant pour bien profiter. Pas de risques de ce coté-là. Un bon marin savait vérifier les conditions avant de sortir. Et puis, risquer le naufrage lors de la première sortie n'était bon que pour le Titanic.

La barre en main, il regardait l'horizon. Il sentait sous lui les vibrations du bateau. Un moyen efficace de savoir s'il se passait quelque chose d'inhabituel. Une fois qu'il avait pris la mesure de ce nouveau partenaire. Il le connaitrait bientôt mieux que sa femme. Cette structure qui le maintenait sur l'eau n'aurait aucun secret pour lui.

Il étira un peu ses jambes. Elles commençaient à raidir. C'était normal. Malgré la volonté de fer, l'âge rattrapait peu à peu les os, les muscles, le corps. Mais il savait qu'il tiendrait encore plusieurs années sur son bateau, défiant la vieillesse. Pour ce faire, il pratiquait des exercices pour se maintenir en forme tous les jours, en toute saison. Même sur le bateau en solitaire, il ne manquait jamais une série d'étirements. Par contre, ces petits trucs pour combattre le temps ne l'aidait pas pour ses aigreurs d'estomac. Dernièrement, celles-ci se multipliaient.

Il prit dans sa poche une barre de céréale et la mangea lentement. En général, celà aidait à faire passer la crise. Un mouette passa au dessus de lui. Il leva la tête en souriant. Puis il se figea. Il voyait trouble. Etrange, pourtant, il avait de très bons yeux. Il secoua la tête puis fixa à nouveau l'horizon. Voilà, c'était passé. Sans doute une poussière.
Il se racla la gorge. Son épaule gauche s'engourdissait un peu. Il la remua. Puis se sentit soudain très mal. Il avait une douleur dans le bras qui peu à peu s'étendait à son torse. Il avait l'impression d'être compressé et avait du mal à respirer. Puis il se rappela. Tout ceci, il le connaissait. Il en avait entendu parler.

Une crise cardiaque. Ici. En pleine mer. Personne à moins d'une heure. Et il ne tiendrait pas aussi longtemps. Il ragea un instant. Bon sang, tout ça pour ça ? Mourir bêtement parce qu'il était trop loin des secours ?

Non. La Mort ne choisirait pas.

Il bloque tant bien que mal la barre, puis se hissa, avec beaucoup d'effort, sur le bord avant de se laisser tomber dans l'eau. Elle était froide et il fut paralysé par le choc. Mais, de toute façon, il se savait condamné. Il ne lutta pas.
Il s'enfonça peu à peu dans l'eau. Ouvrant les yeux, le sel le piqua tandis qu'il voyait la coque de son bateau s'éloigner. Il savait qu'il n'était pas très profond. Il est rare de couler directement, à moins d'être plombé. Mais le fait de tomber avait permis qu'il soit quand même un mètre sous l'eau, à quelques poussières près.
Par réflexe, il retenait sa respiration. Il eut une pensée agréable. Au moins, il mourrait dans son élément, et pas en chaise roulante dans une maison de retraite avec vue sur le port. Alors il décida d'inspirer, la bouche ouverte, d'embrasser l'eau, sa dernière compagne, son linceul.

Et il mourrut en paix.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire