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Bienvenue !

vendredi 20 août 2010

L'Ogre et la Sirène

Il était une fois un ogre qui vivait dans son marais.
Sa petite vie paisible se résumait à quelques agréables habitudes.

Le matin, en se levant, il préparait un jus à partir des chaussettes qu’il avait piqué dans les paniers sales des ménagères. Et oui, il était le responsable des chaussettes orphelines des villages alentours. Vous savez, ces chaussettes rouges à petits pois dont vous ne retrouvez qu’un seul exemplaire après les avoir lavées ? C’était lui qui s’en servait.
Il disait d’ailleurs que les meilleurs jus venaient des chaussettes vertes qui n’avaient pas encore de trous mais avaient été usées pour jouer dans les prés derrière les écoles.

Il passait ensuite sa matinée à cueillir les champignons. Il connaissait tous les bons coins et ne laissait que les vénéneux pour les promeneurs éventuels. Il lui arrivait parfois d’en laisser des bons à coté, juste pour réussir à tromper l’œil des villageois qui pouvaient avoir envie de passer après lui.

Juste avant midi, il allait piller les poulaillers des œufs qui pouvaient encore s’y cacher, puis rentrait chez lui se préparer une bonne omelette de cèpes, de girolles, et de beaucoup, beaucoup de fromage.

En début d’après-midi, il faisait une sieste, ronflant à faire trembler les murs. D’ailleurs, il finissait souvent avec un morceau du plafond sur la figure. Il le réparait alors avec de la boue fraîche, puis sortait tranquillement pour aller allumer les feux follets des marais. Vous savez, ces petites lumières qui peuvent parfois égarer le voyageurs aventureux ? On suit la lumière, puis plouf, on se retrouve les deux pieds dans l’eau.

Pour son dîner, il attrapait dans les marais un bon gros poisson, ou bien il allait chercher un poulet dans un des villages, puis faisait rôtir sa prise au dessus de son feu. Il dégustait ce met dégoulinant accompagné d’un tord-boyaux qu’il fabriquait lui-même à partir des fruits qu’il volait dans les vergers voisins. Mirabelles, poires, prunes, abricots, il avait toujours de quoi se régaler. Il ne laissait que les fruits pourris aux branches et par terre.

Enfin, la nuit venue, il allait hanter les villages alentours, écoutant les contes que les mères racontaient à leurs enfants, grognant et grattant près des maisons où ces derniers ne voulaient pas aller se coucher. Puis il en profitait pour voler les chaussettes de son prochain petit déjeuner et rentrait tranquillement chez lui.
Mais il ne savait pas que…

Il était une fois une sirène qui vivait dans l’océan.
Sa petite vie paisible se résumait à quelques agréables habitudes.

Le matin, en se levant, elle se préparait un toast de pain trempé qu’elle avait récupéré près des plages. Vous savez, le pain que vous avez perdu sur la plage l’autre jour parce qu’une vague vous l’a chipé ? Et bien la vague l’a ramené à une main, celle de la sirène.
Elle disait d’ailleurs que le meilleur pain trempé était celui qu’elle trouvaient après que des enfants soient passés se baigner. Il était plein de confiture et de beurre.

Elle passait ensuite sa matinée à cueillir des coquillages et des anémones pour décorer le fond de l’océan, laissant seulement les coquillages brisés près des plages pour que les enfants les trouvent et se demandent pourquoi, mais pourquoi donc, les coquillages qu’ils ramassaient n’étaient jamais entiers.

Juste avant midi, elle allait piller les paniers des pécheurs encore en mer. En général, elle s’agrippait au bateau et attendait que le pécheur regarde ailleurs pour plonger la main dans le panier et attraper des sandwichs, des carottes ou du saucisson. Puis elle allait tranquillement les déguster sous un récif de corail pour profiter des belles couleurs du soleil se reflétant sur les écailles des poissons.

En début d’après-midi, elle faisait une sieste sous une pierre, battant doucement de sa nageoire dans le courant. Elle finissait souvent avec quelques crabes cachés sous elle et des poissons nichant dans ses cheveux. Elle les chassait alors gentiment puis sortait avec une provision de berniques qu’elle allait coller sous les coques des bateaux. Vous savez, cette couche de coquillages qui sont fixés sur le bois, au point qu’il faut râper le bateau pour réussir à les enlever ?

Pour son dîner, elle attrapait du plancton qu’elle se faisait en salade avec quelques algues vertes. Elle dégustait ce met léger tout en répétant dans sa tête ses chants préférés.

Enfin, la nuit venue, elle retournait près des récifs pour y chanter, attirant les marins encore en mer pour qu’ils s’échouent, et qu’elle puisse ensuite s’approprier les petites choses brillantes qu’ils jetaient par dessus bord en offrande pour qu’elle se taise et ne les laisse pas s’approcher trop près des rochers dangereux.
Mais elle ne savait pas que…

Dans son marais, l’ogre se sentait quand même un peu seul. Les villageois le fuyaient toujours quand il était trop proche, de peur qu’il ne fasse tourner le lait ou naître des poules à deux têtes. Et s’ils ne fuyaient pas, il lui lançaient des flèches et des fourches et c’est lui qui tournait le dos pour se cacher dans la nuit, dans l’un des marais.
Le seul moment où les voix qu’il entendait ne hurlaient pas ni ne pleuraient, c’était le soir quand il écoutait les contes. Et cela parlait de fées, de princesses, de princes, de grenouilles, de bœufs… Mais les héros n’étaient jamais des ogres ou des dragons qui pouvaient trouver l’amour.
Alors l’ogre se demandait si un jour, un conte parlerait de lui. Après tout, il n’était pas si méchant. Bon, il était vert, il avait un gros nez, presque pas de cheveux et il louchait un peu. Mais on l’avait dessiné comme ça, ce n’était pas de sa faute à lui.
Mais il ne savait pas que…

Dans son océan, la sirène se sentait quand même un peu seule. Les marins et les pécheurs la fuyaient toujours, de peur qu’elle n’attire leur embarcation vers des récifs dangereux. Et s’ils ne fuyaient pas, ils sortaient des harpons brillants qu’ils lui jetaient dessus et c’était elle qui fuyait se cacher dans les profondeurs, sous les baleines.
Les seuls visages qu’elle pouvaient voir de près, c’est ceux qui étaient peints ou gravés sur ce qu’ils jetaient par dessus leur bateau quand elle chantait. Souvent, il s’agissait de peintures, sur lesquelles on voyait des fées, des princesses, des princes, des grenouilles, des bœufs… Mais jamais de sirènes. Elle regardait les images qui s’estompaient peu à peu au fil des courant d’eau.
Alors la sirène se demandait si un jour, une image serait faite d’elle. Après tout, elle n’était pas laide. La seule chose qui la différenciait des gens sur la peinture, c’était sa longue queue de poisson, à partir de la taille. Bon, d’accord, on ne pouvait pas peindre sous l’eau, mais ce n’était pas de sa faute, elle aurait bien aimé en sortir.
Mais elle ne savait pas que…

Un jour, pendant sa collecte nocturne, l’ogre buta sur un petit bout de métal qui sortait de terre. Il se pencha, puis creusa un peu pour le dégager.
C’était tout lisse, noir d’un coté, et brillant de l’autre. Et ça avait la forme d’une goutte d’eau un peu déformée. Il regarda, tenta de le mordre. Mais ça ne se brisait pas, ni ne se pliait. Donc il le prit dans sa besace et repartit dans son marais, avec sa récolte de chaussettes.
Une fois chez lui, il frotta le coté brillant avec un coin de la nappe, puis regarda mieux. On aurait dit un miroir, sauf que dedans, il ne se voyait pas. Il voyait juste des planches de bois et il entendait de légers clapotis.
Etonné, il posa cet étrange objet en face du feu, puis alla se coucher. Il ne tarda pas à ronfler.
Il allait bientôt découvrir que…

Quelques instants avant, la sirène chantait. Le bateau en face ne lui avait pas encore envoyé de choses brillantes, et elle attendait, composant au fur et à mesure sa mélodie.
Puis vint son offrande. Elle le reçut sur la tête, et cessa immédiatement de chanter en se frottant le dessus du crâne. Elle prit l’objet puis plongea.
A la lumière de la lune, elle observa ce qu’on lui avait donné. C’était un bout de métal tout lisse, blanc d’un coté et brillant de l’autre. Et ça avait la forme d’une goutte d’eau un peu déformée.

Soudain, le bout de métal se mit à faire un bruit terrifiant. On aurait dit une scie rouillée que l’on aurait utilisée sur une corne de cuivre qui jouait faux, avec par dessus un sifflement strident. Tous les poissons aux alentours fuirent, car sous l’eau, le son se propage très, voire trop bien.
La sirène hurla, complètement affolée, mais ne lâcha pas cet objet étrange.
Elle allait bientôt découvrir que…

L’ogre fut tiré de son sommeil par un cri strident. Il se demanda si une jeune villageoise un peu blonde ne se serait pas perdue près de son antre. Mais non, elle n’aurait jamais osé approcher aussi près d’une masure en boue séchée. Et puis le cri semblait venir de l’objet bizarre qu’il avait ramené.
Cela s’arrêta. Il s’approcha et découvrit alors une chose incroyable.

La sirène entendit que le bruit horrible avait cessé. Elle regarda l’objet et découvrit…

Un visage. Etrange. Un peu trouble. Mais surtout curieux.

En même temps, ils firent un « o » parfait. Celui de la sirène chantait un peu. Celui de l’ogre grinçait un peu. Mais qu’importe.
Puis ils sourirent. Aucun ne fuit, ni ne lança de fourches ou de harpons.
Et ils se mirent à parler. Pendant des heures. Le soleil se leva sans qu’ils s’en aperçoivent, puis se recoucha sans qu’ils aient faim.
Discuter était si bon… Il fit nuit à nouveau. Et là, l’estomac de l’ogre gargouilla. Ils rirent tous les deux. Puis ils se promirent de se retrouver le lendemain soir.

Pendant la journée qui suivit, l’ogre n’alla pas se faire un jus de chaussettes. D’ailleurs, il laissa aussi les champignons tranquilles. Ainsi que les feux follets, dont plusieurs s’étaient éteints.
Il passa son temps à fabriquer un bateau. Un gros, qui pouvait aller en mer. Puis, quand il l’eut fini, car un ogre décidé, ça travaille très vite, il rassembla quelques provisions et se mit en route vers la mer, avec l’objet étrange dans la poche.
Il n’imaginait pas que…

Pendant ce temps, la sirène repéra une grosse pierre selon des critères bien précis, connus d’elle seule. Quand elle l’eut trouvé, elle toqua sur plusieurs endroits et écouta la résonance. Soudain souriante, elle attrapa un gros caillou et s’en servit pour frapper très fort sur un endroit précis.
Et la pierre se fendit en deux morceaux. Il s’agissait en fait d’une pierre creuse, mais solide. L’intérieur était tapissé de beaux cailloux violets.

La sirène alla cueillir des algues, et les fixa avec un peu de vase dans le fond d’un des deux morceaux.
Puis elle fixa quelques bouts de corail en dessous en les fixant dans les anfractuosités de la roche.
Pour toute personne passant par là, on aurait pu croire à un traîneau, mis à part le fait que ça ressemblait plus à une baignoire sur deux rampes.

Puis elle appela deux morses, les attela à l’ensemble, et les guida vers la surface.
Elle n’imaginait pas que…

L’ogre était très près de la mer. Il sentait l’odeur salée, très différente de celle de son marais. Il vit le soleil baisser sur l’horizon. Il s’arrêta, puis sortit l’objet bizarre de sa sacoche.
Il s’attendait à…

La sirène vit que la lumière s’atténuait sous l’eau. Le soleil devait être en train de se coucher. Elle prit alors l’objet étrange au fond de son étrange traîneau.

L’ogre et la sirène se saluèrent. Puis chacun essaya d’expliquer ce qu’il avait fait en même temps. Naturellement, aucun ne comprit ce que l’autre disait.
Mais la sirène aperçut derrière l’épaule de l’ogre une constellation d’étoiles qu’elle connaissait. Puis une autre juste au dessus.
Elle connaissait bien la configuration du ciel, car elle s’en servait souvent pour se repérer en mer. Et elle savait que l’ogre n’était pas loin.

Alors, au lieu de mots inutiles, elle lui dit d’attendre, et qu’elle avait une surprise pour lui. L’ogre, perplexe, attendit donc. Puis il entendit un drôle de raclement pas loin, et, surpris, il vit arriver la sirène dans son drôle d’attelage.

Heureux de se rencontrer ainsi, face à face, il discutèrent encore toute la nuit, puis le soleil se leva.
Ils entendirent des bruits de villageois, et décidèrent de se réfugier dans une grotte à coté.

Quelle ne fut pas leur surprise, dans cette grotte, de découvrir un grand lac d’eau salée, bordée par une étendue de boue de marais.
Heureux, ils décidèrent de s’y installer.

Depuis, l’ogre continue à aller chiper des chaussettes pour son jus du matin, et la sirène colle toujours des coquillages aux coques des bateaux.
Mais maintenant, ils vivent heureux, ensemble.

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