Bienvenue

Vous êtes arrivés ici par hasard, au détour d'une page, ou bien après que l'on vous ait suggéré que peut-être, il y avait ici un peu d'un jardin intéressant.


Je n'ai pas d'autre prétention que de vous emporter, pour un instant, dans mon monde. Dans mes mondes.


Bienvenue !

jeudi 8 septembre 2011

Le feu des veines

Elle est là, debout sur la neige. Mais elle n’a pas froid, malgré le tissu léger qui compose sa robe et le châle de laine qui n’est pas très épais. Elle attend, depuis un moment déjà. Le soleil de l’hiver lui fait un peu mal aux yeux. L’air transparent et froid se meut en un vent léger qui fait frissonner plus d’un badaud.
Les gens autour la regardent, discutent entre eux, n’osant élever la voix. Il se dit qu’elle doit avoir du feu dans le sang pour être ainsi réchauffée quand n’importe qui d’autre rêve d’une cheminée et d’un édredon, ou au moins de bottes en peau de mouton et d’un manteau en laine bien épais.

La foule attend. On sent une tension légère. Elle, elle sourit. Elle pourrait croire qu’elle se trouve dans un conte de fée et que bientôt, son prince apparaitra pour la mener dans son château, bien loin de ce petit village, et elle sera couverte de bonheur, enfantera dans la douleur et dans la joie. Elle aura un petit jardin à l’ombre où elle pourra danser l’hiver, quand l’air est si fin qu’on dirait qu’il vient d’un autre monde.

Cependant, l’homme qui s’approche ne ressemble pas vraiment à un prince. Sec, presque cassant, ses cheveux blancs sont bien trop propres pour un honnête homme. Sa bouche grimace tandis qu’il la regarde, elle, qui attend. Puis il se tourne vers la foule, et d’une voix de ténor tuberculeux, commence un discours qui se veut harangue pour échauffer les esprits. Mais personne n’est dupe. Ses mots creux ne touchent pas plus les cœurs que les esprits. Parce que cette fille aux veines de feu, finalement, on l’aime bien, un peu. Et si cet homme n’était pas passé par ici, rien n’aurait changé. Elle aurait continué à chanter pour les oiseaux au printemps, à la rivière en été, aux arbres en automne et à la neige en hiver.

Quand l’homme sec a fini, deux autres arrivent derrière la fille et la prenne par les bras. Ils l’emmènent et l’attachent au poteau qui dépasse du tas de bûches.
Si les gens le pouvaient, ils la détacheraient immédiatement et obligeraient ces étrangers à partir. Mais s’ils le font, leur village sera rasé, et eux probablement éparpillés dans les différentes geôles puantes aux quatre coins du pays. Les enfants seront envoyés dans des monastères ou des couvents, pour apprendre la religion maudite qui tue les jeunes filles innocentes.

Quand l’homme sec allume les petits tas de paille au pied de la construction de fagots, il esquisse un sourire mauvais. La fille le regarde. Elle a pitié de lui. Il n’est pas heureux. Puis elle dit au revoir aux gens, ceux qui la regardent et la pleureront quand les étrangers seront partis. Elle sait qu’elle reviendra, sous une forme ou une autre. Elle ferme les yeux puis elle attend. Elle croque le bout de racine qu’elle avait caché derrière ses dents. Elle sait qu’elle ne sentira pas le feu la lécher, car celui de ses veines sera éteint bien avant.

jeudi 30 juin 2011

La Broderie

Il était une fois une jeune fille qui brodait à sa fenêtre. Elle soupirait en pensant à son chevalier qui se battait contre les bandits dans le sud de son royaume.

Elle se piqua le doigt et une goutte de sang perla. Elle fit alors le vœu que pour chaque blessure que son chevalier recevrait, une goutte de sang tombe, afin de savoir s'il lui reviendrait un jour.

Quand sa broderie se teinta de rouge, elle sut que jamais elle ne le
reverrait. Elle continua donc à broder à sa fenêtre en pensant à son chevalier. Elle décida simplement de les broder, ensemble, sur le paysage qu'elle préparait.

A la fin de la journée, quand une servante vint toquer, elle ne la trouva pas. Mais elle vit la broderie avec la jeune fille et son chevalier, unis simplement jusqu'à la fin des temps.

mardi 5 avril 2011

J'aime les jupes

Oui, depuis toute petite, j'aime les jupes. Bon, je mets aussi des pantalons. Les shorts, plus beaucoup. Les robes, rarement, et c'est parce que je suis très difficile. Mais ma préférence est aux jupes.

Une jupe, c'est un vêtement, par tradition, féminin. Je dis par tradition puisque maintenant, les hommes s'y mettent. Attention, je fais aussi la différence avec les kilts et autres "jupes pour homme", portant souvent un nom différent.
Donc, souvent, on associe la jupe à la féminité. Souvent, mais moins qu'avant. Ceci dit, mon amour de la jupe ne dépend pas du sexe de qui la porte.

La jupe, c'est avant tout un choix. Elle peut cacher et/ou découvrir les jambes. Elle peut mouler ou bien s'élargir. On la choisit par pudeur, ou par provocation. Elle peut être aussi légère que réchauffante, capable de passer l'été et l'hiver à prendre soin de nos gambettes, pour le plaisir de tous.

Bien sûr, la jupe peut être traitresse. On se rappelle tous Marilyn au dessus de cette bouche de métro avec le tissu qui se soulève, et les mains qui tentent de l'empêcher de s'envoler. Difficile d'assumer lorsque l'on ne sait pas ce que les autres vont y voir.

Une fois que l'on accepte son corps, on oublie la peur que la jupe se soulève. Au contraire, on en joue. Le tissu qui vole, dirigé par les jambes et le rythme de la marche. On sait que si on va suffisamment vite, ce qui se passe en dessous devient un mystère d'autant plus frustrant qu'il n'est révélé qu'au compte-goutte. La jupe, c'est la baguette magique de la demoiselle. Un écrin pour la fleur secrète qui se pare de tissu et de dentelles. Sous une jupe, on peut se permettre de mettre la peau à nu. On la sent douce et exquise, prête à être caressée par la main qui osera la remonter, retroussant la prison de couleur qui l'enfermait.

La jupe finalement devient un moyen aisé de révéler sans montrer, de sous-entendre sans parler. Et de sentir sans toucher. Autant pour la porteuse que ceux qui la regardent. Entre une jupe longue et droite et un maintien rectiligne, et une jupe presque trop courte et des jambes croisées de façon à la faire remonter, on sait tout de suite dans laquelle on a envie de plonger la main.

La prochaine fois, je vous dirai peut-être pourquoi j'aime les bas...

vendredi 18 mars 2011

La venue des Exclus

Quand j’ai vu « Bienvenue à Gattaca », petite fille dans une classe sombre et poussiéreuse, j’ai compris le rêve de mes parents d’avoir une petite fille parfaite. Je ne l’ai pas accepté, mais je l’ai compris.
Ils m’ont expliqué très tôt que j’étais leur petit trésor, un essai scientifique. A l’époque, toutes les familles un peu aisées avaient voulu essayer cette technique qui permettait de choisir à l’avance les gènes de son bébé.
Pourtant, lors de nos devoirs sur « Bienvenue à Gattaca », j’avais vu que lors de sa sortie, ce film avait engendré un débat sur l’eugénisme. Tout le monde disait que c’était mal. Pas éthique. Et pourtant, nous voici quelques dizaines d’années plus tard. On clone les animaux de compagnie décédés, on garde même quelques cellules de gens qu’on aime ou de célébrité pour faire la même chose quand la loi sera passée. Je crois que ce sera bientôt d’ailleurs. Ou peut-être pas. Déjà, le fait qu’on puisse maintenant choisir parmi des dizaines d’embryon au profil génétique « amélioré » le bébé qu’on veut avoir est un grand pas vers un univers comme celui du film.
Mais passons. Ce n’est finalement qu’un rire muet de voir qu’il suffit d’attendre pour que la science propose légalement des choses impensables quelques temps auparavant.

Et puis, mon histoire n’est pas celle d’une petite fille parfaite. C’est celle d’une jeune femme imparfaite. La première génération des bébés générés sur demande a grandi. Et on a vu de grosses différences. Pour faire simple, il y a les aboutis, et il y a nous. Les exclus.
Ma petite sœur est une aboutie. Elle n’a aucun défaut physique, et surtout, « aucun défaut moral ».

Mes parents l’ont commandée quand j’ai commencé à montrer les signes inquiétants d’une exclue. Pas grand-chose vraiment, simplement, j’aimais mes souliers jaunes. De petits souliers à lacets, ouverts sur le devant, que je mettais avec des collants, et une jupe plissée. Je n’aimais pas les autres chaussures. Je les trouvais fades.
Lorsque mes souliers sont devenus trop petits, j’ai exigé d’avoir les mêmes. Quand mes parents ont refusé, j’ai simplement gardé le lit, refusant de m’alimenter, jusqu’à ce qu’ils acceptent. Ils n’ont pas eu le choix. Mais Maman est tombée enceinte peu après. On ne m’a pas dit que ce serait ma remplaçante. Mais à la rentrée suivante, je me suis retrouvée dans une pension avec des enfants comme moi. Une progéniture non satisfaisante, des non aboutis.
A l’époque, on disait ça. On expliquait qu’il restait des sections d’ADN dont l’effet était encore un peu mystérieux. Mais qu’on avait engendré ainsi des enfants qui possédaient un trait de caractère un peu « déviant ». Un risque plus élevé de s’éloigner de la norme. De faire des choses dont leurs parents auraient honte.

Dans cette pension, j’ai grandi tranquillement avec mes souliers jaunes. J’en recevais de nouveaux chaque fois que les anciens étaient usés ou trop petits. Et mon armoire était remplie de jupes plissées, de collants, et de petits chemisiers qui allaient parfaitement avec la couleur que j’aimais tant. Et les jeunes filles dans mon dortoir avaient chacune leur petite manie, comme la mienne, donc jamais aucune ne se moquait d’une autre. Il y en avait une qui toquait toujours trois fois sur une porte avant d’entrer dans une pièce, même quand il n’y avait personne. Une autre collectionnait les boucles de cheveux des gens qu’elle rencontrait. D’ailleurs, elle avait une des miennes dans son petit livre sur son étagère.

Je savais que nous avions une chose en commun : nous ne voyions nos parents que deux fois par an. Une semaine à Noël et deux semaines en été. Jamais plus. Pendant les autres vacances, nous partions par classe dans des chalets perdus dans la montagne ou au bord de la mer, selon la période de l’année. C’est ainsi que j’ai vu ma petite sœur grandir vite. Et à l’âge où j’avais du partir en pension, elle resta auprès de mes parents. Je compris alors que j’étais exclue de ma famille, à cause de mon obsession des souliers jaunes. J’arrêtai de rentrer en été, ne gardant que Noël. Je savais que mes parents m’offraient à chaque fois de l’argent pour que je ne leur demande rien de plus. Et puis, à ma majorité, ils me firent comprendre que même s’ils continueraient à me donner de quoi vivre confortablement même sans travail, ils préféraient que je ne vienne plus. Les prétendants pour ma petite sœur commençaient à passer du temps à la maison. Et voir une jeune femme aux souliers jaunes aux fêtes de famille ne ferait qu’engendrer des questions malvenues.

J’ai vu la société changer. Choisir son bébé était maintenant à la portée de presque tout le monde. On offrait même des aides aux familles pauvres, simplement pour qu’elles engendrent des enfants qui auraient plus de chances de réussir et les aider à sortir de leur soucis. Les « ratés » de cette technique arrivaient encore fréquemment. Le pourcentage de doute. Mais si le premier enfant n’était pas « abouti », on offrait le second. Alors on parquait simplement les autres ailleurs. C’est ainsi qu’on a obtenu notre surnom : les exclus. On avait nos propres bidonvilles. Enfin, des villes à part oubliées par les aboutis, et par nos parents. On nous employait pour les tâches que personne ne voulait. On ne nous disait pas bonjour. Je suppose qu’on nous reconnaissait au menton baissé, presque honteux que nous avions l’habitude d’arborer quand nous étions parmi eux.

Et puis un matin, le vent a soufflé. Je me rappelle que c’était le début du printemps. Je me sentais légère, dans mes beaux souliers. Tellement légère que ma tête a tourné. Je me suis assise sur un banc en attendant que ça passe. Et c’est passé rapidement, donc je n’y ai plus pensé. J’étais rarement malade de toute façon. Un avantage de cette vie provoquée artificiellement.
Presque tous les exclus ont eu ce léger malaise, de façon plus ou moins forte. Et nous sommes tout de même allés travailler chez les aboutis, comme chaque jour.
Pendant les semaines qui ont suivi, des choses étranges ont commencé à se produire. Les aboutis tombaient malades, un à un. Vraiment malades. Puis, il y a eu des morts. Et les aboutis qui guérissaient restaient tellement vulnérables qu’ils ne pouvaient plus faire grand-chose par eux-mêmes.
Alors nous, les exclus, sommes devenus les gens forts, ceux qui détenaient le pouvoir. Avoir une tare, être différent devenait une bénédiction. Les dés avaient changé de main.

Je suis retournée chez mes parents. Ma petite sœur s’était mariée et vivait juste à coté de chez eux. Elle avait un petit garçon, abouti comme elle. Et son enfant venait de mourir dans ses bras. Elle-même n’était pas en meilleur état. Et son mari était décédé depuis plusieurs semaines déjà. Alors elle s’était réfugiée chez nos géniteurs.
Quand elle m’a vue, elle a pleuré. Mes parents, incapables de réagir, m’ont simplement regardée, sans savoir que dire. Alors je suis allée prendre la tête de ma sœur, je l’ai posée contre mon épaule, et je l’ai bercée. Mon père a pris le corps du petit garçon et l’a emmené dans une chambre, en attendant qu’un véhicule vienne l’évacuer.

Ma sœur a survécu. Aujourd’hui, elle vit avec moi dans la maison de nos parents. Eux ne quittent presque plus leur chambre et m’ont laissé tous pouvoirs pour s’occuper de tout. C’est partout pareil. Les exclus sont devenus les aboutis, ceux qui sont forts et continuent à faire tourner le monde.
Et j’aime toujours autant mes souliers jaunes.

lundi 7 mars 2011

Pitié, Morphée !

Je t'ai longtemps aimé Morphée.

Pour moi, me coucher était un délice, car je savais que j'entrais dans ton monde pour me loger entre tes bras.

Entre rêves et romances, je me savais avec l'amant le plus fidèle qui existe. Chaque nuit, je savais que tu serais là.

J'en venais à désirer à chaque instant nos moments privilégiés. Souvent, en société ou au travail, je m'éclipsais tranquillement pour passer quelques minutes, le nez piquant doucement, à te tenir compagnie.

Je te sentais même parfois m'appeler, mes paupières devenaient lourdes et soudain, j'avais une absence qui me laissait sur les lèvres ton goût léger au réveil.

Et puis le temps est venu. Un amant de sommeil est bel et bon lorsque les yeux se ferment, mais quand ils sont ouverts, on a tout de même besoin de tendresse.

Alors, pour me combler autant éveillée qu'endormie, j'ai demandé à ton ami, Cupidon, de me donner un coup de flèche. Ce qu'il a accepté joyeusement, tu le connais, il aime créer l'amour.

Donc oui, j'ai eu quelques amants humains, histoire de passer le temps en attendant de te retrouver. Et il m'est arrivé de temps en temps de me coucher un peu plus tard. Mais bon, il fallait bien quand même que j'essaie, tu sais, dans le monde éveillé, c'est bien de temps en temps d'entretenir la forme...

Et puis Cupidon a du quand même aller te prévenir. Je le sais, parce que ça fait quelques jours maintenant que j'ai beau fermer les yeux, pas moyen de m'endormir.

Allez Morphée, j'ai compris la leçon, je finirai vieille fille avec des dizaines de chats qui dormiront autant que moi. Mais pitié, pitié, laisse-moi dormir...

mercredi 2 mars 2011

Mon corps, cet ennemi

Je me rappelle la douce époque où mon corps était un ami. Si jeune et pourtant déjà coquette, j'avais chemisier jupe et soquettes sous mes nattes de petite fille. Mais ce n'était que les prémices d'une bataille.

Sentant un retard et une avance fort peu convenables, j'ai commencé à poser des questions à mon corps. Pourquoi donc paraissait-il si peu agile quand les demoiselles de mon âge faisaient poiriers et pirouettes sans même y penser ?
Pour me punir de n'être pas satisfaite, il a ajouté à mon calvaire en me donnant une allure vaguement masculine quand ma féminité ne demandait qu'à se réveiller.

Quand enfin, à force de croissance et de volonté de négocier, mon corps m'a enfin donné un moment de répis, je me voyais enfin début de femme capable de tourner un homme d'un seul regard. Dansant du bout des doigts et chantant du bout de la langue, je me suis dit que finalement, le vilain petit canard n'était plus et je laissais peu à peu les lauriers de la gloire me tomber devant les yeux.

Mais hélas, quand vint le couperet de la réalité, je compris que mon corps, plutôt qu'un répis, m'avait donné simplement un souffle du paradis pour mieux me l'enlever. Question de stress et d'hérédité, peu à peu je gonflais, femme ballon qui pourtant voulait encore plaire.
J'ai eu le temps de voir mes formes se modifier, pressant les vêtements jusqu'à les déchirer parfois.

Alors, triste et amère, je regardais mon corps à nouveau devenir mon ennemi. Les miroirs de ma chambre voilés par la brume de la douche, j'évitais de regarder ce reflet que je pensais informe pour le couvrir au plus vite de tissu, priant pour rentrer encore dans la garde-robe de cette année.

Chaque évènement me renvoyait des images d'une femme qui, quoique jolie encore, prenait du volume sans raison pour ne plus ressembler à cette petite fille innocente que je fus.

Finalement, s'arrêtant avant une limite psychologiquement difficile, mon corps décida qu'il m'avait suffisamment punie. De quoi ? Je ne sais pas trop. Mais déjà bien trop loin de mon idéal, je serrais ma ceinture, comprimant douloureusement mon égo et attendant...

Puis mon miroir, dévoilé par la pousière, décidé de me renvoyer une image, nouvelle. Surprenante presque.

Aujourd'hui, me voici déesse de la fertilité à la mode préhistoire. Finalement, peut-être que mon corps voulait simplement me dire que la beauté n'est pas dans le corps, mais dans ce qu'il représente.
J'ai décidé de faire la paix. Peut-être qu'un jour, de statuette aux traits lourdement représentatif de la fertilité, il fera de moi un chef d'oeuvre à mes yeux, défiant le monde de se rappeler pourquoi, finalement, la minceur était un canon...

mercredi 23 février 2011

La venue des exclus

Elle est là, dans ses souliers jaunes. Elle lève légèrement la tête, pour comprendre ce qui l'entoure. Ce n'est pas facile. Elle ne s'attendait pas un jour à se retrouver ainsi phare d'une foule.
Elle a déjà vu des films au scénario catastrophe, où une partie de la population contracte un étrange virus et se met à poursuivre les gens pas encore malades pour les contaminer et/ou manger leur cerveau.
Ceci dit, elle n'a jamais imaginé avant ce jour qu'un "virus" était déjà en place.

Elle bouge ses souliers jaunes, fait un pas. Elle sent la foule derrière elle qui gronde, prête à attaquer, prête à tuer. Elle a un petit sourire, presque trop timide. C'est la première fois qu'elle ne se sent pas à part, rejetée. Elle qui a toujours eu honte de ses petits penchants, de ses plaisirs coupables avec ces petits souliers jaunes.

Elle ne pensait pas que, assumant enfin ce qu'elle était, elle aurait derrière elle cette foule respirante et murmurante. Des gens comme elle, différents. Des gens qu'on laissait de coté parce qu'ils avaient quelque chose de décalé, qu'on ne comprend pas. Des gens qu'on oubliera plus jamais, plus maintenant.

Elle relève enfin le menton. Elle ne regarde plus ses petits souliers jaunes, elle sait qu'ils sont là et qu'ils l'accompagnent dans une marche unique, nouvelle, pleine d'assurance.

Elle donne le départ. Tous les cachés, les différents, les pas pareils, les intrus, les décalés, les bizarres, tous ensemble, les exclus décident enfin de faire quelque chose pour que tout le monde, un jour, soit comme eux.