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dimanche 5 mai 2013

La Colombe et le Cobra

Il était une fois une colombe, blanche comme la neige. Elle vivait perchée au sommet du plus grand arbre de la forêt. Son arbre lui procurait tout ce dont elle avait besoin. Abri, nourriture, rien ne lui manquait. C’est ce qu’elle disait en tout cas à ses voisines les tourterelles et les mésanges.

« Non Mesdames oiselles, je suis une colombe comblée et rien ne pourrait m’apporter plus que mon arbre. Son ombre est fraîche, ses insectes dodus, ses feuilles vertes et son tronc pentu. »

Cependant, ce qu’elle ne disait pas et pourtant, qui lui assombrissait le cœur, c’est que la nuit venue, elle ne dormait pas. Non, elle ne dormait jamais. Car les bruits sauvages de la nature faisaient frémir son petit cœur, et la peur l’habitait.

Lorsque la nuit tombait, donc, elle se mettait à parler à la Lune, roucoulant doucement pour ne pas réveiller les autres oiseaux.

« Ah, ma seule amie… Que je suis malheureuse de ne jamais pouvoir fermer l’œil. Mais si jamais je clos ma paupière, je crains le chat sauvage et ses griffes, le serpent venimeux et ses crocs, le rapace et ses cris.

- Pauvre Colombe, ma tendre amie… Mais si tu ne dors pas, tu ne pourras pas rêver. Le repos ne viendra pas t’entourer de son doux réconfort. Regarde donc tes voisines, elles dorment à poings fermés, et pourtant, rien ne leur arrive.

- Mais mon amie la Lune, pas plus tard qu’hier, dans le noisetier voisin, une grive a été mangée. Le soir, elle a fermé les yeux, et le matin, il ne restait que quelques plumes ensanglantées !

- Hélas, pauvre Colombe, la grive a vécu, et elle a vu ses petits oisillons s’envoler avant de perdre la vie. Puis elle s’est donnée pour nourrir un chat errant qui voulait à son tour avoir des petits.

- N’y a-t-il donc rien d’autre à cette vie que pondre et élever avant d’être mangé ? Non, je ne veux pas. »

Alors la Colombe restait ainsi éveillée sur son arbre, attendant le petit matin pour recommencer à roucouler.

Une nuit, la Lune décida tout de même de l’encourager, car la pauvre Colombe tombait de sommeil, et ses plumes ternies ressemblaient plus à la neige piétinée que celle qui vient de tomber.

« Petite Colombe, mon amie, tu sais, parfois, le vent me murmure des secrets. Et je pense que si tu veux pouvoir être vraiment bien heureuse, il va falloir que tu apprennes à rêver. Pour rêver, il faut dormir. Tu dois donc apprendre à te laisser aller à espérer.

- Mais Lune, je ne sais pas comment. Depuis mon arbre, j’espère l’ombre et la lumière, les insectes et la rosée. Et j’ai tout cela à portée sans avoir besoin de prendre de risque. A part celui de veiller la nuit en ta compagnie.

- Je ne te demanderai pas de fermer les yeux alors que ton cœur tremble tellement. Mais demain, lorsque le Soleil se lèvera, descend un peu de ton arbre. De ses branches basses, tu verras peut-être un petit bout de cet espoir qui te manque.

- Lune, je crains que cela ne change pas mon avis, mais puisque tu ne veux que mon bien, j’essaierai de descendre sur les branches basses et regarder ce qui se passe. Cependant, je doute de voir là-dessous quoi que ce soit qui puisse me donner envie. »

Le Soleil se leva donc, comme chaque matin. Et la Colombe, fidèle à sa promesse, sautilla de branche en branche afin d’aller voir ce qui se passait au sol.

« Après tout, se disait-elle, si un chat arrive, je pourrais m’envoler et retrouver la sécurité de mon nid. Si un serpent monte également. Et les rapaces préfèrent les champs ou la nuit. »

Arrivée sur la branche la plus basse, elle vit un spectacle très intéressant. Par terre se trouvait un serpent. Puisqu’il n’était pas sur son arbre, elle n’en avait pas peur. Et qu’il était beau, d’un vert profond, brillant au soleil. Et qu’il était fort, de la tête à la queue, on pouvait distinguer ses muscles sous sa peau onduler. Et qu’il était bien entouré, par des enfants rieurs qui chantaient.
Quand il se redressa, il sembla gonfler au niveau de la tête, et la Colombe vit qu’il s’agissait en fait d’un cobra. Il se mit à danser, pour accompagner les rires des enfants. Et la Colombe se prit au spectacle et se mit à roucouler. Alors le Cobra cessa de danser et se tourna vers elle. Elle cessa instantanément, apeurée. Alors le Cobra prit la parole :

« Oh non, je t’en prie, continue. J’ai tellement peu l’occasion d’entendre un aussi beau chant ! Les enfants, j’en ai l’habitude, et bien qu’ils m’aiment, je me sens bien seul quand vient la nuit, et que le froid mordant m’oblige à me mettre à l’abri. Mais alors, depuis mon creux, j’entends ta voix, chaque nuit, et je me sens un peu moins seul. Oh, je t’en prie, recommence et chante, je danserai pour toi. »

La Colombe repensa à ce qu’avait dit la Lune. Le petit bout d’espoir qu’elle voyait n’était pas le sien, mais il y en avait bel et bien en bas. De la part d’un serpent, dont elle aurait dû avoir peur. Un serpent qui partageait sa tristesse la nuit.

Alors la Combe roucoula. Elle mit dans son chant un petit bout de cet espoir que le Cobra avait grâce à elle et elle se sentit plus forte.

Lorsque la nuit tomba, la Colombe ne le vit même pas, tant elle était heureuse de roucouler pour son ami Cobra. Lui n’avait pas cessé de danser. Mais quand il l’appela, elle se rendit comte soudain que le Soleil avait disparu.

« Belle Colombe, ne sois pas fâchée, mais le froid de la nuit m’engourdit, et je ne peux pas continuer à danser. Je t’inviterais bien dans mon creux, il est juste assez grand et douillet. Mais je me contenterai de t’écouter chanter à la Lune si tu préfères.

- Grand Cobra, mais si je viens dans ton creux, tu vas me manger ! Et alors je ne pourrai plus chanter.

- Belle Colombe, je préfèrerais t’entendre chanter et mourir de faim. Cependant, je ne jeune point, les enfants me ramènent sans cesse des rats pour que je puisse me nourrir et les débarrasser. Je ne t’oblige à rien, je te l’ai dit, ton chant suffit à me tenir compagnie. »

Bien qu’apeurée, la Colombe vit que le trou du serpent était éclairé par un rayon de Lune. Elle regarda alors en l’air et vit son amie là-haut qui souriait. Elle se dit qu’après tout, ce Cobra avait l'air bien gentil, et que dans son creux, il n’y avait la place que pour une colombe et un cobra, pas de risque qu’un chat ose s’approcher. Elle descendit donc de son arbre et sautilla jusqu’au Cobra. Celui-ci ondula jusqu’à elle, puis, d’un signe de tête, indiqua son creux.

Lorsqu’ils furent tous les deux installés, le Cobra se lova autour de la Colombe.

« Mais, que fais-tu ? Je pensais que tu ne voulais pas me manger ! Et te voici en train de m’entourer de tes anneaux pour m’étouffer.

- Oh, petit Colombe, je ne suis pas un python. Ta chaleur est juste bien agréable, contre le froid de la nuit, et je me sens si bien autour de toi. Je t’en prie, n’aie pas peur et chante, je ne te ferai aucun mal. »

La Colombe se mit donc à roucouler tout doucement, puis un peu plus fort, tandis que le Cobra dodelinait sa tête. Elle finit par s’endormir ainsi, épuisée. Quand, au matin, elle ouvrit un œil, elle vit le Cobra qui la regardait tendrement.

« Que tu es belle quand tu dors. Presque autant que quand tu chantes.

- C’est parce que j’ai fait de beau rêves cher Cobra. Avec un œuf gros comme la Lune. »

Depuis cette nuit-là, jamais le Cobra n’eut froid. Et jamais la Colombe ne veilla. La Lune, souriante, continue aujourd’hui, la nuit, à éclairer leur romance.