Bienvenue

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Je n'ai pas d'autre prétention que de vous emporter, pour un instant, dans mon monde. Dans mes mondes.


Bienvenue !

jeudi 31 mai 2012

Last of the wild

Allongée dans son lit, la jeune Hematia regarde dehors. Elle voit le sommet d'un arbre au loin et le ciel avec ses nuages aux multiples formes. Mais rien de plus.

Dans sa chambre, les murs de pierre grise sont recouverts de lourdes tentures, dont elle connait par coeur tous les détail, jusqu'au plus petit défaut. A gauche, une scène de chasse au cerf. Plusieurs hommes sur leurs chevaux, entourés d'autres hommes à pied et de chiens. Et au loin sur une colline, un cerf qui les regardait, comme s'il les attendait.
A droite, deux tentures différentes entouraient la fenêtre. L'une représente la passion du Christ, l'autre, une fée offrant à un homme une branche enflammée et une épée.
En face, encore deux tentures, l'une avec la mère d'Hematia, l'autre avec son père. Et au milieu, la porte.

La jeune fille soupire. Elle ne peut pas bouger. Ses jambes, ses bras sont si faibles qu'elle ne peut plus marcher, ni tenir une coupe dans sa main. Alors on la cache là, dans sa chambre, chaque fois que ses parents reçoivent quelqu'un.

Le prêtre de la petite église du château passe parfois la voir, l'encourageant à prier Dieu pour aller mieux. Et de recommander son âme à Dieu chaque soir avant de s'endormir. Mais Hematia a prié, et ses bras et ses jambes ont quand même continué à faiblir. Et puis, il a dit également que la tenture avec la fée ne devrait pas être accrochée ici. C'est païen, et donc hérétique. C'est d'ailleurs lui qui a ramené la tenture de la passion du Christ. Heureusement, il n'a pas osé décrocher l'objet de son désaccord.

Hematia est heureuse, malgré le fait qu'elle ne sort presque plus de ces quatre murs. Sa nourrice vient régulièrement lui raconter les légendes des fées. Comment elles ont apporté le feu aux peuplades qui erraient sur les terres alentours, leur permettant de résister au froid de l'hiver, à repousser les animaux sauvages. Comment leur monde touche le notre parfois, lorsque la lune est pleine, ou lors des sabbats que l'on fête encore en cachette des chrétiens.

Hematia rêve parfois de voir le monde des fées. Elle se dit que, vu que les fées ont des ailes dans le dos, elles pourraient peut-être lui en donner et elle n'aurait plus besoin de ses jambes pour marcher.

Aujourd'hui, sa nourrice parle de la malice des fées. Du fait qu'un simple d'esprit les voit belles tandis que les hommes trop compliqués, comme le prêtre, ne perçoit que des démons. Ce sont les gens qui arrêtent de rêver qui oublient que les fées sont magnifiques. Et ils essaient ensuite de faire oublier aux autres leur apparence. Parce que quelqu'un qui ne sait plus rêver devient jaloux et tentera par tous les moyens d'empêcher les les autres de le faire. Pour que tout le monde soit aussi malheureux.

Pour Hematia, le prête est surtout un vieil homme qui sent trop fort l'encens. Et qui n'a pas d'humour. Elle ne l'aime pas trop.

Les paroles de la nourrice la bercent. Elle finit par fermer les yeux. Et elle entend les pas qui s'éloignent, la porte qui se referme doucement. Elle écoute les bruits tout autour. Ce n'est jamais complètement silencieux au château. Même pas la nuit. Toujours des chevaux dans la cour, des gens qui parlent fort, des serviteurs qui passent dans le couloir.

Pourtant, il y a un bruit bizarre. Un qui lui fait rouvrir les yeux. Comme une tenture que l'on froisse, et des branches que l'on frotte. Elle essaie de se redresser pour voir d'où ça vient. Elle n'y arrive pas et elle a un peu peur.

Maintenant, ça sent comme après la pluie, une odeur mouillée. Et au dessus d'elle, soudain, un visage. Mais pas un visage ordinaire. Il est vert et bleu et orange et violet et... Elle a du mal à suivre. Alors elle demande.

"Qui êtes-vous ?"

Le visage sourit. Une main prend la sienne. Tire dessus légèrement, comme si elle voulait que Hematia se redresse ou se lève.

"Je ne peux pas. Je suis faible dans les bras. Et dans les jambes. Un peu partout en fait."

La main insiste. Alors Hematia essaie de lever la sienne, pour montrer qu'elle ne peut pas. Sauf qu'elle peut. Elle regarde, ahurie, son bras qui se soulève tellement facilement... Il est blanc et chétif. Et il est maintenant au dessus de la couverture au lieu de reposer dessus.

"Mais ce n'est pas possible."

Le visage sourit. Alors Hematia aussi. Et, comme si elle n'avait jamais été faible, elle commence à se lever. Doucement quand même, parce que sa tête tourne. Mais le visage l'encourage. Et il y en a d'autres derrière. Des visages, et des corps aussi. Chatoyants et fins, comme des arbrisseaux. Et ils chantent. Elle s'en rend compte maintenant.

Elle pose le pied à terre. C'est un peu douloureux, comme si des aiguilles gelées et brulantes recouvraient le sol. Puis la sensation se mue en fourmillements. Et finalement, elle peut poser le second pied à coté. Et elle se met à rire. Elle se met complètement debout. Les fées, parce que ça ne peut être qu'elles, la soutiennent. Alors elle a l'impression d'être forte à nouveau.

Quelques unes des fées commencent à danser. C'est beau... C'est magnifique avec la musique. Et Hematia avance vers elles. Un peu hésitante, puis d'un pas ferme. Puis elle danse à son tour. Doucement, puis un peu plus vite. Au rythme de la musique qui change sans arrêt.

Elle se met à rire. C'est tellement bon... C'est ce qu'elle avait toujours imaginé. Et maintenant, c'est réel.

Sa chambre sent bon la forêt humide. C'est comme si elle était au pays des fées, sauf que les murs sont toujours là. Mais des tentures sortent d'autres fées. Et le cerf aussi. Et, bizarrement, de la tenture de la Passion du Christ sort une autre fée avec une couronne d'épine. Mais elle ne pleure pas de sang comme sur la tenture, elle sourit et elle danse aussi.

Hematia est simplement heureuse. Elle oublie tous ses malheurs dans la danse. Elle oublie ses parents qui ne passent presque plus la voir. Elle oublie les douleurs. Elle oublie la solitude. Elle est entourée, elle est bien.

La nuit tombe tandis qu'elle danse encore. Même la lune s'invite à la danse, sous la forme d'une fée argentée. Hematia dans avec elle, et avec tous les autres. Elle a un si grand sourire que ses joues tirent un peu. Et c'est bien.



Au matin, quand la nourrice ouvre la porte, elle trouve une Hematia souriante, couchée en chient de fusil au pied d'une tenture. Étonnée, elle s'approche pour réveiller la jeune fille. Ses mains sont gelées et sa peau trop blanche. Alors la nourrice verse une larme. Elle soulève l'enfant et la dépose sur le lit. Bientôt, des serviteurs viendront l'habiller d'une robe blanche et des fleurs seront placées dans ses cheveux. Les gens viendront offrir leurs condoléances aux parents. Tout le monde dira quel dommage c'est de perdre une enfant et quelle douleur ses parents doivent ressentir. Et ils hocheront la tête et se feront plaindre. Le prêtre en profitera pour dire que son âme doit être auprès des anges puisqu'elle a été baptisé et en profitera pour inciter les païens restant à en faire de même. Mais la seule qui verse une larme, la seule à qui Hematia manquera, c'est la nourrice qui caresse la joue de la petite, puis sort pour la dernière fois.