Bienvenue

Vous êtes arrivés ici par hasard, au détour d'une page, ou bien après que l'on vous ait suggéré que peut-être, il y avait ici un peu d'un jardin intéressant.


Je n'ai pas d'autre prétention que de vous emporter, pour un instant, dans mon monde. Dans mes mondes.


Bienvenue !

samedi 7 décembre 2013

Peau neuve


Le mouchoir est en train de tomber. On dirait qu'il vole. Le temps se ralentit un moment pour lui laisser le temps de cette chorégraphie unique. Blanc, éclaboussé par la lumière de la pleine lune, on dirait presque qu'il a une vie propre. Un éphémère qui, à peine né des rayons qui le touchent, va mourir au sol. Il perd tout de suite son innocence, imprégné par la boue qui lui sert de linceul. Et alors seulement, Anne-Lise se met à crier.


La bête lève les yeux et la remarque. Fichu instinct de survie qui pousse à vider ses poumons et faire du bruit quand on a peur. Car maintenant, le regard de feu est posé sur elle. Et un grognement sourd se fait entendre.


Anne-Lise se retourne et tente de courir. Mais la pluie a tellement détrempé le sol qu'elle glisse. Elle se retrouve à quatre pattes à essayer de s'éloigner le plus vite possible. Hélas, un humain, même sur deux jambes, est bien moins rapide que l'animal qui lui saute dessus. Elle se retrouve à plat ventre et le poids de la bête lui coupe la respiration.


Elle s'attend à sentir des griffes qui déchirent sa peau. Des crocs qui la mordent. Rien ne se passe. Elle entend juste un reniflement dans ses cheveux. Même plus ce grognement menaçant quand elle a crié. La bête s'allonge sur elle avec un soupir. Elle n'ose pas bouger le moindre muscle. Puis, sans crier gare, le poids disparaît soudain. Anne-Lise est à nouveau seule.


Il se passe plusieurs minutes avant qu’elle ose se relever. Elle voit son mouchoir à quelques mètres. Décidément, c’est un miracle qu’elle ne soit pas un tas de viande sanguinolente à l’heure qu’il est. Elle se relève. Ses jambes tremblent. Un peu normal. Elle avance doucement pour retrouver le chemin qu’elle a pris pour venir. Pour pouvoir pleurer sans qu’on la voie. C’est un peu tard maintenant pour essuyer ses larmes, ou son maquillage qui a dû couler. On ne verra rien à travers la couche de boue qui la couvre.


Elle ne retourne pas à la fête qu’elle vient de quitter. De toute façon, elle ne s’y plaisait pas. Et pour y voir le garçon qu’elle aime danser avec une autre, entendre les moqueries des filles qui connaissent son faible pour lui en disant que jamais il ne se serait abaissé à être avec elle… Quand la bête lui a sauté dessus, elle a eu un sentiment très fugitif de soulagement. Ne plus avoir à subir ce quotidien où elle ne se sent plus à l’aise depuis longtemps.


Elle monte dans sa voiture et met le contact. Elle rentre directement chez elle. Heureusement, ce n’est pas loin. Elle se demande si elle est en état de choc. Elle ne sait pas quoi penser. Son esprit est vide, et en même temps, elle serre son volant avec une telle violence qu’elle en a mal aux articulations.


Une fois devant son garage, elle sort en tremblant. Comme si elle avait froid, des jambes flageolantes jusqu’à la mâchoire crispée, elle ne rêve que d’une douche chaude. Elle a du mal à ouvrir sa porte. Elle n’a même pas essayé de ranger la voiture. Elle fait tomber les clés une fois, puis réussit enfin à maîtriser la serrure suffisamment longtemps pour entrer. Elle se déshabille en marchant jusqu’à sa salle de bain. Elle s’arrête devant le miroir. Elle a une traînée de boue qui a séché sur son front. Elle se regarde. Sous ses cheveux châtains attachés en arrière, un visage un peu trop large, légèrement asymétrique, d'une banalité à pleurer. Jusqu'à ce qu'on croise son regard. Elle le sait, au fond de ses yeux, on voit son âme. C'est son atout et son fardeau. Parce que les gens sont souvent mal à l'aise devant cette innocence déconcertante. Ce qui ne l’empêche pas d’être ridicule, et de se sentir stupide d’avoir été à cette soirée, et d’avoir eu aussi peur. Elle allume l’eau, bien chaude, et se met dessous. C’est là qu’elle se met à pleurer. Elle ne sait même plus si c’est pour la peur, pour elle-même, parce qu’elle aurait voulu ne pas vivre cette humiliation.


Elle pense au mouchoir. Elle aurait dû le récupérer. Elle y tient, même si elle en a encore plusieurs identiques. Et elle pleure encore plus fort. Longtemps.


Ses larmes tarissent avant l’eau qui lui tombe dessus. Elle finit par éteindre, sortir de la douche puis se réfugier dans son peignoir moelleux. C’est en revenant vers sa chambre qu’elle entend qu’on toque à la porte. A cette heure-ci ?


Elle va ouvrir. Sur le seuil se tient un homme. Facilement une bonne dizaine d’années de plus qu’elle, la quarantaine bien conservée. Il lui sourit. Elle ne le connaît pas. Elle devrait fermer la porte. Un inconnu qui frappe aussi tard dans la nuit, ça ne peut être qu’une mauvaise nouvelle. Et pourtant, ses yeux bleus lui donnent envie de l’inviter à entrer. Ou alors son demi sourire.


« Je suis désolé de vous avoir fait peur. »


Hein ? Qu’est-ce qu’il raconte ? Il a un accent léger. Anglais ? Ses cheveux sont très courts, mais on dirait qu’ils sont roux. Irlandais peut-être.


« Vous ne m’avez pas fait peur. Je ne sais pas qui vous êtes, mais me visiter aussi tard dans la nuit, ça ne me fait pas peur, ça me fait me poser des questions. Vous êtes qui ?


- Je voulais dire tout à l’heure. Dans la forêt. »


Anne-Lise reste muette. Dans la forêt ? C’était une bête dans la forêt, pas un homme.


« Je ne vois pas de quoi vous parlez. Je ne vous ai jamais vu de ma vie. »


Elle le regarde dans les yeux. Elle n’arrive pas à se résigner à envoyer ce type au diable et claquer la porte. Pourtant, elle sent son lit qui l’appelle. Et cet homme est un inconnu qui vient la déranger.


« C’était moi. La boule de poil.


- Hein ? Qu’est-ce que vous racontez ?


- Je pensais que vous saviez… Je veux dire, vous avez l’odeur d’une alpha. Alors je croyais…


- Je ne comprends rien à ce que vous dites.


-Je suis désolé de vous avoir dérangé alors. Et de vous avoir fait peur. Bonne nuit. »


Et il s’en va. Aussi simplement que ça. Elle ne comprend rien. C’était qui cet homme ? La boule de poil ? Une alpha ? On doit lui faire une blague. La bestiole n’était qu’un gros chien. Et on essaie de la mener en bateau. Une arnaque.


Elle claque la porte. La referme bien. Puis monte se coucher. Elle s’écroule sur son lit. Très vite, elle plonge dans un sommeil agité, plein de mauvais rêves. Elle se revoit à la fête. Sauf qu’elle est à côté d’un truc poilu qui est en train de lui dévorer les entrailles, tandis que tout le monde se moque d’elle.


Au matin, elle a l’impression d’avoir la gueule de bois. Non pas qu’elle ait bu beaucoup. Au contraire. Mais on dirait qu’on lui compresse les tempes. Elle se lève lentement. Elle passe une robe de chambre. Elle descend se faire un petit déjeuner. Elle sort le jus d’orange. Regarde les pommes. Secoue la tête. Elle range le jus d’orange, sort le jambon cru et se fait couler un café. Elle s’assied sur son canapé et allume la télé pour grignoter son jambon tranquillement.


La maison lui paraît immense et vide. Elle a souvent ce sentiment depuis que ses parents sont morts. Enfin, ses parents… Les gens qui l’ont adoptée. Qu’elle a appelé Papa et Maman. Normalement, quand on adopte un enfant, c’est pour l’aimer, le chérir. Peut-être qu’ils ne savaient pas vraiment comment…


Elle a toujours rêvé, depuis toute petite, que ses vrais parents, venus d’ailleurs, revenaient la chercher. Des fées, des vampires, des extraterrestres… Selon son âge, sa fantaisie a évolué. Et quand ils lui ont annoncé qu’elle était adoptée…


Quelque part, ça a été un soulagement de savoir que ses parents n’étaient pas ses vrais parents. Ils étaient tellement normaux… Et elle… Elle n’irait pas jusqu’à dire que leur décès dans un accident de voiture quelques années plus tôt l’a soulagée. Elle a beaucoup pleuré. Mais ne pas voir la déception dans leurs yeux à chaque fois qu’elle prenait une décision…


Enfin, c’est du passé tout ça. Et elle vit maintenant dans la maison de son enfance, seule. Un étage avec les chambres et la salle de bain. Un rez-de-chaussée avec salon, salle à manger, cuisine, et un bureau qui faisait office de chambre d’amis quand ses parents avaient des invités et la douche à l’italienne attenante…


Peu de femmes de son âge peuvent se vanter d’être propriétaires d’un bien aussi grand et bien entretenu. Mais parfois, elle se sent un peu perdue au milieu de toutes ces pièces.


On toque à la porte. Elle soupire. Quand elle ouvre la porte, il n’y a personne. Juste un paquet. Elle le prend et referme la porte. Elle retourne sur son canapé et commence à l’ouvrir. A l’intérieur, trois choses. Une enveloppe, un mouchoir en tissu et une peau de bête. Très douce, mais avec une odeur assez entêtante. Pas désagréable exactement. Ça lui chatouille les narines. Et on dirait que ça fait passer son mal de tête. Tant mieux.


Elle pose la peau et ouvre l’enveloppe.


« Bonjour,


Je te demande pardon encore une fois. Je t’ai effrayée une première fois dans les bois. Et une seconde fois à ta porte je crois. Ce n’était pas mon intention.


Et je risque de t’effrayer à nouveau. Parce que je connais ton prénom. Et parce que je vais t’avouer avoir fait des recherches cette nuit sur toi. C’est le genre de chose qui peut inquiéter, surtout venant d’un inconnu.


Je ne peux pas vraiment tout t’expliquer. Il faudra que tu le vives pour me croire. Je suis obligé de faire confiance à l’instinct.


Dans ce paquet se trouve une peau de loup. Si je ne me trompe pas sur toi, et je suis plutôt sûr de moi, tu devrais l’apprécier. Je te montrerai cette nuit à quel point tu vas l’aimer. En tout cas, je l’espère.


Avant que tu aies envie de jeter cette lettre au feu, je vais te promettre quelque chose. Aujourd’hui, ta vie va changer. Dans un sens ou dans l’autre, ça ne dépend pas vraiment de moi. Et histoire que tu comprennes à quel point je suis sérieux et que je ne te mène pas en bateau, regarde le mouchoir. C’est le tien. Je l’ai lavé. Il est très joli, avec tes initiales brodées. »


Anne-Lise s’arrête pour regarder le mouchoir de plus près. Oui, c’est bien le sien. Celui oublié la veille au soir. Mais ça ne prouve rien, à part qu’il était là. Et ce n’est pas forcément rassurant. Même si elle n’arrive pas à se faire du souci. Comme si elle n’était que spectatrice et que rien ne pouvait l’atteindre. Contrecoup du choc ? Peut-être. Ou alors le fait que son mal de tête s’en va et la laisse avec un léger vertige.


Et en plus, ce ne sont pas ses initiales à elle. A. B. ce n’est pas Anne-Lise Delpierre. D’après sa mère, un lot de mouchoirs venait avec ses affaires de bébé. Anne-Lise pensait, plus jeune, que ça devait venir d’un ancêtre quelconque. Puis, quand elle a su qu’elle était adoptée, de sa vraie mère peut-être. Mais pas ses initiales à elle.


Elle replonge dans la lettre.


« Avant de le laver, j’ai trouvé ton odeur dessus. Et je pense te connaître. Enfin, je ne t’ai jamais rencontrée avant hier soir. Pourtant, je t’ai cherchée longtemps. Tu ressembles beaucoup à ta mère. La vraie. »


Anne-Lise s’arrête à nouveau. Cette fois, c’est sa gorge qui se serre. Elle a essayé de chercher ses vrais parents. Elle sait qu’elle est adoptée depuis quelques années maintenant. Elle n’a jamais pu obtenir le nom de ses parents, pas même un indice. Est-ce que cet homme pourrait être son vrai père ? Il a un drôle de sens de l’humour dans ce cas, de lui faire croire qu’il l’a retrouvée à l’odeur…


« Je vais revenir ce soir. Répondre à tes questions. T’expliquer qui tu es. A commencer par ton nom. Le vrai : Abigail Beads. »


Abigail ? Elle ne se sent pas comme une Abigail. C’est bizarre. Ce n’est pas familier. Mais en effet, ça fait A. B. Ce qui ne signifie rien, ce type aurait pu l’inventer et lui briser ainsi un peu plus le cœur… Pas difficile à inventer, avec les initiales du mouchoir. Mais pour qu’elle tombe dans le panneau, il faut qu’il soit sûr qu’elle ne sait pas qui sont ses vrais parents. Une information difficile à obtenir en une nuit.


Ou alors il l’espionne depuis plus longtemps ? Cette pensée est effrayante. Ou rassurante. Et s’il connaît sa vraie mère et l’a retrouvée exprès ? Genre un détective privé ? Oui, ou alors il l’a choisie comme proie juste pour ça et…


Rien ne sert d’extrapoler. Autant finir la lettre.


« La seule chose que je te demande en attendant, c’est de prendre soin de la peau. Elle appartenait à ta mère. Et tu comprendras peut-être par toi-même.


Avec toute mon affection


Stephen»


Les larmes coulent de ses yeux. Elle ne sait pas quoi penser. Elle a attendu tellement longtemps de savoir qui elle est. Et elle n’ose pas croire que ça puisse enfin être la réponse. Par contre, la partie avec la peau de loup l’interpelle.


En un instant, une quantité dingue d’idées farfelues lui traverse la tête. Sa mère est-elle une chasseuse ? Et ce serait un trophée ? Ou alors elle s’occupe d’animaux dans un zoo… Non, elle les observe dans la nature.


Anne-Lise reprend la fourrure dans ses bras et la renifle. Ça ne sent pas le chien. Plutôt une espèce d’odeur un peu musquée très agréable. Et si sa mère était un loup-garou ? Ça, ce serait amusant. Elle secoue la tête. C’est ridicule. Et puis en plus, avoir la peau de sa mère signifierait que le gars de la nuit dernière l’a tuée et a tanné sa peau. Ou alors en tout cas, qu’elle est morte, d’une façon ou d’une autre. Et ça, elle ne veut pas.


Heureusement qu’on est dimanche. Anne-Lise est soulagée de ne pas avoir à passer sa journée de boulot à patienter pour que cet Stephen vienne lui expliquer qui il est, qui elle est, en savoir plus. La patience n’a jamais été son fort. Et histoire de bien commencer la journée et faire partir le reste de ce mal de tête, un bon bain.


La douche est au rez-de-chaussée, mais la baignoire est à l’étage. Le luxe d’avoir récupéré la maison de ses parents adoptifs. Sans ça, elle serait sûrement dans un studio pourri, et les bains ne seraient qu’un rêve dont elle se serait passée juste pour ne pas rentrer trop souvent au pavillon familial. Elle a un petit pincement au cœur. Malgré le fait qu’ils ne se soient jamais compris, eux et elle, elle aimerait pouvoir leur dire qu’elle est sur le point de savoir d’où elle vient. Peut-être une explication sur le pourquoi elle n’a jamais eu envie de se ranger dans les petites cases du quotidien qu’elle vivait avec eux.


Elle monte tranquillement avec la peau, la lettre et le mouchoir. Elle est contente qu’il lui ait rendu. Elle en a plusieurs, c’est vrai. Ceci dit, puisque ce seraient ses vraies initiales, elle préfère quand même les garder tous. C’est pour ça qu’elle a regretté de ne pas l’avoir ramassé la veille au soir. Elle se sent soulagée.


Elle pose tout sur le banc de la salle de bain puis commence à faire couler l’eau. Et elle se souvient soudain d’une légende qu’elle avait étudiée au lycée. Les Selkies. Des femmes qui, quand elles revêtent une peau de phoque, deviennent ce bel animal et vivent dans la mer. Ou alors des phoques qui, quand ils retirent leur peau, deviennent des femmes. Ce n’est plus très frais dans son esprit. Le nom lui est resté, parce qu’elle l’avait trouvé joli.


Une autre idée farfelue. Elle retire sa robe de chambre, puis, nue, prend la peau de loup et la place sur ses épaules, comme pour s’en faire une cape. Rien ne se passe. Elle se met à rire. C’est complètement stupide. Ça n’existe que dans les légendes et les bouquins tout ça. A une époque, elle espérait devenir vampire. Le côté romantique torturé, le fait d’être tellement différente. Et ça avait fini par lui passer. Elle a aussi pensé aux sorcières, volant sur leurs balais les nuits de Sabbat. Et là encore, elle a renoncé. Ce ne sont que des lubies de petites filles, comme sa mère adoptive aimait lui répéter. Parfois, elle regrette d’avoir cessé de rêver à cause d’elle.


L’eau a atteint la bonne hauteur. Et la bonne température. Elle dépose la peau sur le banc, puis entre dans l’eau. Que c’est agréable… Elle repense aux Selkies. Elle aime bien les sirènes, mais le concept de la queue de poisson l’a toujours laissée un peu perplexe. La question habituelle : comment font-ils pour se reproduire ? Au moins, pour les Selkies, c’est plus simple. Dans une forme ou dans l’autre. En plus, ça doit être agréable de pouvoir s’échapper quand on veut dans l’eau. Même si elle est froide. Parce que les phoques ont suffisamment de graisse pour ne pas sentir la température. Juste filer sous la surface. Aller chasser des poissons. Faire des pitreries. Et la sensation de l’eau contre la peau, qui file, le bonheur de ne plus être en deux dimensions mais en trois pour se déplacer. Le bonheur.


Elle se retourne dans sa baignoire. Se sent un peu bizarre. Elle ouvre les yeux. Elle voit trouble. Veut se frotter les yeux. Et voit une nageoire apparaître devant ses yeux. Elle hurle. Un son animal sort de sa gorge. Elle se dandine dans tous les sens et finit par sortir de la baignoire. Elle veut appeler au secours. Oui, mais elle est seule, et puis elle ne parvient pas à faire sortir un seul mot de cette gorge bizarre.


Quand elle voit une silhouette se précipiter dans sa salle de bain, elle ne sait pas si elle doit hurler de peur ou de soulagement. Qui est-ce ? La silhouette se penche vers elle. Elle sent des mains sur ses côtés. Un bruit de déchirure. Et l’impression qu’on la déshabille. Quand elle arrive enfin à distinguer ce qui se passe, elle constate que c’est Stephen. Le type de la veille. Qui la prend dans ses bras en lui disant de se calmer. De respirer doucement. Que tout va bien. Et elle obéit. Elle l’agrippe de toutes ses forces et se met à pleurer.


Elle voit sous ses fesses une peau un peu ensanglantée et sombre. Elle ne comprend pas. Elle réalise soudain qu’elle est toute nue dans les bras d’un inconnu. Et le repousse.


« Qu’est-ce ? Qu’est-ce que ?


- Tout va bien Abigail. C’est normal. Tout est normal. Tu n’as rien à craindre.


- Mais ? Mais… »


Elle se remet à pleurer de plus belle, se met en position fœtale, comme pour se protéger. Elle se sent poisseuse. Et elle a faim. Terriblement faim. Stephen ne bouge pas. On dirait qu’il cherche quoi dire. Il a une expression interrogative. Comme s’il prenait sa température. Puis il se lance.


« Maintenant, tu as faim. Je te conseille juste de repasser dans le bain. Tu te sentiras un peu mieux après. Je t’attends en bas dans ta cuisine. »


Il attend un peu. Qu’elle acquiesce ? Elle ne bouge pas. Elle est à nouveau en état de choc. Alors il se relève et sort à reculons, comme on fait avec un animal apeuré. Elle le regarde disparaître. Puis elle se met à trembler. Son estomac gargouille. Elle a tellement faim qu’elle pourrait avaler un éléphant. Et elle a froid. Alors elle se lève, doucement. Elle a des courbatures un peu partout. Elle se tient à la baignoire. Elle voit que sa peau est recouverte de sang. Elle plonge sa main dans l’eau. L’eau si chaude… Et quand elle la ressort, il n’y a plus rien. Alors ce n’est pas son sang ? Enfin, peut-être… En tout cas, elle n’a pas l’air blessée. Et elle décide d’écouter Stephen.


Elle y va doucement pour ne pas glisser. Elle réussit à se glisser dans la baignoire. Elle s’immerge complètement. Quand elle ressort la tête, elle se sent mieux. Elle n’a plus froid. Par contre, sa faim ne fait qu’augmenter. Elle se relève doucement, ouvre la bonde pour que l’eau, maintenant rouge, s’écoule. Puis elle attrape son peignoir et se blottit dedans. Elle ressort de la baignoire doucement. Évite de marcher sur la peau sanguinolente qui reste par terre. Elle s’accroupit et la touche. C’est encore tiède. Elle se relève. Elle sent l’odeur de la viande qui grille, et elle ne peut plus résister. Elle descend.


Stephen est visiblement en train de faire comme chez lui. Il a trouvé sa poêle. Par contre, les deux steaks qui cuisent dedans ne sont pas à elle. Elle voit une espèce de sacoche isotherme. Ce doit être à lui. De toute façon, elle n’est pas vraiment en état de réfléchir. Elle l’observe tandis qu’il sort de sa sacoche un petit pot avec un contenu blanc laiteux.


« Tu n’as rien contre la sauce au roquefort ? Ta mère en raffole. Ceci dit, on n’hérite pas toujours des goûts de ses parents. »


Elle secoue la tête. Et se mord les lèvres. Elle a envie de se jeter sur la viande. Et l’odeur de la sauce quand il en rajoute dans la poêle la rend presque dingue. Elle s’assied sur un tabouret de la table de la cuisine. Puis elle attend. Il lui jette un regard.


« Les assiettes ? »


Elle met un moment à comprendre. Puis elle lui montre le deuxième placard en partant de la droite. Il l’ouvre et sort deux assiettes. Puis il fait glisser les steaks dans chacune, avant de napper avec le reste de la sauce.


« Couverts ? »


Elle lui montre le premier tiroir. Puis elle se lève. Il la regarde d’un air interrogateur, le tiroir à moitié ouvert. Elle ouvre le placard de gauche et sort des couteaux à steak. Il sourit. Sort deux fourchettes. Pose les assiettes sur la table de la cuisine. Elle lui rend un des couteaux puis se rassied. Elle a du mal à se forcer à couper la viande avant de l’ingurgiter. Elle mâche bien. Elle ne voudrait pas s’étouffer.


Le sentiment de bien-être, de sentir ce morceau descendre le long de son œsophage, la fait sourire. Que ça fait du bien… Elle sent le parcours jusque dans son estomac, puis la chaleur qui irradie. Puis elle réalise. Stephen vient de parler de sa mère au présent. Alors elle est vivante. Anne-Lise va pouvoir la rencontrer. Elle sent les larmes qui remontent. Elle pousse un soupir et ferme les yeux, pour les chasser.


Elle continue à manger sa viande, avec un peu plus de retenue. Et elle regarde son… Père ? Intrus ? Invité ? Sauveur ? Harceleur ?


Elle observe son visage. Aucun de ses traits ne lui ressemble. Ou peut-être ? Elle ne sait pas dire. Il n'a pas l'air assez vieux, mais on ne sait jamais. Alors elle se tait. Et alors qu’elle avale le dernier bout de sa viande, c’est lui qui parle.


« Je ne sais même pas quel prénom ils t’ont donné. Cette nuit, j’ai passé des coups de fil parce que ton odeur et ton visage me paraissaient familiers. Et quand j’ai réalisé à qui tu ressemblais, j’ai appelé ta mère. Et ça colle. L’âge de l’enfant qu’on lui a volé.


Officiellement, ton père t’a retiré à elle. Il avait des copains avocats, il a monté un dossier béton. Nous, on évite la publicité, alors elle n’a pas su se défendre comme il faut. Et il n’était pas de notre monde, il ne savait pas à quel point c’était important de te garder avec quelqu’un de notre communauté. Au cas où tu tiennes de ta mère. Pour t’apprendre tôt à faire cette transformation.


Bref, il est parti avec toi, et on ne savait pas ce qu’il était devenu. Sauf qu’en t’attendant, j’ai vu les photos derrière toi. Et celle à droite, il est dessus. »


Anne-Lise se retourne. Une photo de groupe. Ses parents et des amis. Elle demande simplement :


« Lequel ?


- Le troisième en partant de la droite.


- Sam. Il est mort quand j’avais deux ans. C’est ce qu’ils m’ont dit. Et qu’ils ne savaient rien. Et le dossier d’adoption dit que je suis née sous X. Alors ce ne sont que des mensonges… »


Elle est en rage. Elle leur en veut encore plus. Ils ont visiblement falsifié quelque chose, payé pour la garder. Sinon, elle aurait été rendue à sa mère. Et elle reconnaît son nez sur cette photo. Et la bouche aussi un peu. Elle se dit qu’elle aurait pu deviner, si elle avait fait plus attention à cette photo. Les larmes sortent.


« Anne-Lise. Ils m’ont appelée Anne-Lise. Et ils m’ont toujours caché qui j’étais. D’où je viens ? Et c’est quoi ce truc plein de sang dans ma salle de bain ? »


Stephen sourit.


« Tu es Abigail Beads. Fille de Elizabeth Beads. Tu es… Comment dire… On nous donne plusieurs noms. Mais on préfère s’appeler les Changeurs en français. Et des Skinners en anglais. Dépeceurs. C’est beaucoup plus barbare… Tu viens de là-bas d’ailleurs. Enfin, du Pays de Galles, pas d’Angleterre. Enfin, ce n’est pas le sujet.


La vérité, c’est qu’on crée cette peau. On l’obtient en la souhaitant. Et je suppose que tu as pensé aux Selkies dans ta salle de bain. Dans l’eau. Avec l’envie d’y croire. »


Anne-Lise acquiesce.


« Je m’en doutais. D’habitude, c’est plus des loups, les premières fois accidents, à cause des loups garous. Quelque part, tu as eu de la chance que ça ne te soit pas arrivé avant. Et, je suppose, que j’ai été près de ta maison en attendant ce soir. Je voulais juste être sûr que tu ne t’enfuies pas. J’avais peur de t’avoir fait peur. »


Anne-Lise le regarde. Elle a trop de questions et ne sait pas quoi choisir. Stephen sourit. On dirait qu’il devine ses pensées.


« La première chose, c’est que là-haut, c’est ta peau. Un morceau de toi. C’est pour ça que tu as faim. Il faut restocker ce que tu viens de perdre. Beaucoup de protéines.


Si tu veux, j’ai d’autres steaks. Je les ai achetés au cas où pour ce soir. Du coup, tu les auras dégustés avant. Ils sont dans ton frigo. Tu en veux un autre ? »


Encore une fois, elle fait oui de la tête. Alors il prend deux beaux morceaux dans le frigo et se remet aux plaques avec sa poêle. L’odeur donne le vertige à Anne-Lise. Elle s’aperçoit qu’elle a encore très faim. Il continue son récit.


« Tu peux être n’importe quel animal. Mais tu ne peux pas changer de poids. Tes os se réarrangent, ne me demande pas comment, je ne suis pas scientifique. C’est juste que tu ne peux pas gonfler ou rapetisser. Ce qui donne des trucs assez marrants. Comme une souris de 70 kilos. C’est énorme. Ou une vache miniature. C’est aussi moche qu’une vraie.


La chose la plus drôle que j’ai vue, c’est un type qui a réussi à canaliser un tyrannosaure. Tu savais que ça ressemblait à un gros poulet ? Rien à voir avec Jurassik Park. Ça se dandine et sa fait un cri bizarre. Comme un ballon de baudruche qu’on prend avec des mains mouillées. »


Anne-Lise pouffe de rire.


« Le plus mignon, c’est ce qu’il a fait juste après. Un diplodocus miniature. On avait envie de lui caresser la tête, comme un chat. »


Les steaks sont saignants, presque bleus. Il sort un deuxième pot de sauce au roquefort. Elle salive. Il la sert, et elle se jette sur son morceau. Elle le savoure autant que le premier.


Stephen est silencieux. Il a l'air de réfléchir. Anne-Lise le regarde.


« Stephen... Ma mère est vivante. J'aimerais la rencontrer. J'aimerais comprendre qui je suis. D'où je viens... Ce que je suis.


- A vrai dire, je n'osais pas te le demander. Je sais que tu as une vie ici. Et ta mère est assez loin. Elle m'a dit au téléphone de te dire qu'elle souhaite te rencontrer. Le plus vite possible. Elle est même prête à se mettre au français. Pourtant, elle n'en connaît pas un seul mot. Contrairement à moi, elle ne voyage pas beaucoup. Elle s'occupe de la branche britannique de notre entreprise. Tandis que je suis commercial, et je négociais justement un bon contrat à côté de chez toi.


- Je parle anglais. Plutôt bien. Enfin, je sais m'exprimer. Et ma vie ici ? Sincèrement, j'ai envie de partir. Je n'ai juste jamais eu le courage. Je ne savais pas où aller. Maintenant... Trois mois pour démissionner de mon boulot. Je vends la maison. Elle est en bon état, si je fixe un prix bas, elle partira aussi vite. Dans trois mois, je peux aller vivre au Pays de Galles. Enfin, je crois. Je ne sais même pas comment ça se passe… Les démarches et tout… »


Stephen s’approche et lui prend la main.


« Ne t’inquiète de rien. Même pas de retrouver un boulot là-bas. Ou une maison. J’ai déjà le droit de te proposer une place dans notre entreprise. Et ta mère a une maison suffisamment grande pour que tu t’y installes. Sinon, on te trouvera autre chose, si tu veux être indépendante. Et puis, trois mois pour démissionner… Tu sais, on a pas mal de contacts. Ça peut être accéléré. Tu n’as qu’à faire ta valise. On peut être à Bristol ce soir. »


Anne-Lise a du mal à y croire. Et s’il n’y avait pas la peau sanguinolente là-haut, jamais elle n’aurait fait confiance à Stephen. Tout ça a encore un goût d’irréel. Et elle a juste envie d’y croire. Se réveiller maintenant de ce rêve serait bien trop dur. Revenir à la petite vie tranquille du métro-boulot-dodo. Être encore une femme sans racine, sans lien, sans rien. Elle préfère encore suivre cet inconnu, au risque que le rêve se transforme en cauchemar. N’importe quoi plutôt que la banalité du quotidien.


« D'accord. On y va. »


Stephen sourit.


« Je vais faire les arrangements. Prend juste le nécessaire. On enverra des déménageurs pour le reste. »


Anne-Lise se lève. Elle réfléchit. Elle n'a pas besoin de grand-chose. Les souvenirs qu'elle a ici, elle n'y tient pas vraiment. Elle monte au grenier pour prendre une grande valise. Puis elle va dans sa chambre. Ouvre son placard. Sa garde-robe n'est pas immense. Mais ça va être difficile de tout faire rentrer. Faut-il tout prendre ? Juste une partie ? Si des déménageurs viennent, de toute façon... C'est le printemps. Autant laisser les habits d'hiver. Et les tenues trop légères d'été. Elle aura bien le temps de les rapatrier. Elle prend tout ce dont elle a besoin et le pose en vrac sur le lit. Puis elle plie et range au fur et à mesure.


Bon, les habits, c'est fait. Maintenant, les affaires de toilette. Elle a mis tellement de temps à trouver le shampoing parfait qu'elle ne va pas le laisser ici. Et s'il n'y avait pas cette marque au Pays de Galles ? C'est un petit prix à payer pour comprendre qui elle est, et d'où elle vient. Au moins, elle finira ce qu'elle a déjà.


Elle va dans la salle de bain. S'arrête à la porte. Elle avait oublié la peau. Ça sent bizarre. Un mélange de fer rouillé et cuivre, et une odeur animale qui prend un peu à la gorge. Elle finit par s'avancer. Toucher ce bout d'elle. Puis elle s'en saisit pour la poser dans la baignoire. C'est immense. Plus grand que ce qu'elle pensait.


Elle utilise le pommeau de douche pour enlever le sang. Elle est surprise. Ça part bien. Tant mieux. Une fois qu'elle a fini, elle secoue la peau. L'humidité de l'eau ne reste pas sur l'extérieur. Normal, pour une peau de phoque. L'intérieur reste mouillé au toucher. Elle décide de descendre avec. Et la peau de loup aussi, qui est restée là, dans un coin. Ses produits de beauté peuvent attendre. Surtout qu'il y en a ici et en bas aussi.


Stephen est en train de fouiller son frigo.


« Je me suis dit que je pouvais nous faire des sandwichs. J'ai fait les réservations pour l'avion. Il y en a un qui part dans deux heures. C'est plus rapide que le train ou le bateau. Et je suppose que tu n'as pas envie d'attendre plus longtemps. »


Il se retourne et la regarde. Ses yeux se posent sur les peaux.


« La première, c'est toujours particulier. Pour ta mère, et pour moi aussi, ça a été du loup. Je te l'ai dit, c'est un classique. Et sa spécialité à elle. Elle a toujours une couleur magnifique. Je suis plus doué pour le lapin angora. Enfin, du coup, c'est bien, j'avais un peu d'elle à t'apporter. J'ai toujours des échantillons sur moi. On ne sait jamais. »


Il s'approche doucement, et caresse la peau de phoque.


« Pour un premier essai, ce n'est pas mal du tout. Il faudra la tanner. Sinon, elle va s’abîmer. Mais tu peux en être fière. »


Elle sourit. Elle s'habitue très vite à toute cette étrangeté. Et ce n'est que le début.


« Comment vous faites si... Enfin, comment on fait si on est seul, et personne ne peut aider à enlever la peau ?


- Oh, ce n'est pas difficile. Il faut voir quelqu'un d'autre le faire. C'est un peu différent pour chaque animal, mais en général, une fois qu'on a compris le truc, c'est à peu près facile à reproduire. Tu veux que je te montre ?


- Oui !


- On va dans la salle de bain ? Je ne voudrais pas en mettre partout. »


Anne-Lise lui fait signe de le suivre. Dans la salle d'eau, ce sera facile à nettoyer. Et moins loin. Il la suit. Puis, une fois devant la douche italienne, se déshabille. Elle se retourne.


« Oh, je suis désolé. J’ai tellement l’habitude des autres… On est pas pudiques entre nous. »


Elle se retourne à nouveau et lui sourit.


« Moi non plus. C’est juste… L’habitude comme tu dis. Les Français sont assez prudes par rapport au fait de voir quelqu’un de nu, même quand on se connaît. Enfin, sauf quand on se connaît intimement… Moi, ça ne m’a jamais traumatisée. Mais les gens me trouvent déjà bizarre, alors… »


Et il faut avouer qu’elle se rince l’œil. Ce n’est pas qu’il soit grand, beau, fort et viril. Il ne la dépasse que de quelques centimètres et son ventre ne fait pas exactement plaquette de chocolat. Plutôt un peu fondu. Ceci dit, on voit qu’il y a des muscles sous sa peau. Pas comme un type qui lève des haltères, plutôt comme quelqu’un qui fait du vélo toutes les semaines. Elle a envie de le toucher. Elle sent ses joues qui rougissent. Elle ne peut pas s’empêcher, quand elle voit quelqu’un, comme ça, se déshabiller, d’imaginer ce que ça ferait de le prendre dans ses bras. Et là, elle sait qu’ils finiraient au lit. Ce serait bien qu’elle ne lui montre pas. Heureusement que l’attirance est toujours discrète chez une femme…


Il est tout nu maintenant. Il entre dans la douche. Puis s’accroupit. Et commence à changer. Subtilement puis de plus en plus vite. Sa peau semble se couvrir de poils tandis qu’il devient plus compact. C’est quand Anne-Lise voit les oreilles pousser qu’elle comprend. Un lapin angora. Magnifique. Elle avance la main pour le toucher. C’est tellement doux… Elle a envie de le prendre dans ses bras et poser sa tête sur lui. Elle se rappelle tout de même que c’est Stephen. Qu’elle ne le connaît pas assez pour ce genre de chose.


Il se dresse sur ses pattes arrière. Il est plus petit qu’elle, bien que énorme pour un lapin. Il agite son nez, puis se met à trembler. Et la peau se déchire sur son abdomen. Il en sort couvert de sang et se redresse. Il allume la douche pour se rincer, et nettoyer la peau.


Quand il sort de la douche, elle lui tend une serviette. Il étend comme il peut la peau sur un étendoir. Puis, à la grande surprise de Anne-Lise, il la prend dans ses bras.


« Ce que tu ignores aussi, c’est qu’on est bien plus conscients de l’odeur que les gens dégagent. Y compris les phéromones. On est très tactiles. Et… Enfin, j’avais envie de te prendre dans mes bras. Tu sens vraiment bon. Et je pense que tu en avais aussi un peu envie. »


Il recule. Elle rougit de plus belle.


« Oui… Mais je… Enfin…


- Ne t’en fais pas. Ce n’est pas une invitation à aller faire des galipettes. Et puis l’avion ne nous attendrait pas. On verra. C’est tout nouveau pour toi. Je ne veux pas que tu te sentes obligée de quoi que ce soit. »


Il se rhabille. Elle en profite pour rassembler ses produits de beauté. Elle a un grand sourire. Elle monte et récupère le reste dans la salle de bain. Puis elle boucle sa valise dans sa chambre. Entre-temps, il l’a rejoint. Il l’aide à descendre son bagage. Elle est un peu soulagée. C’est assez lourd, même si elle n’a pris que l’essentiel.


Elle fait le tour de la maison, fermant tous les volets, éteignant le gaz, le chauffe-eau, les radiateurs. Puis elle rejoint Stephen dans l’entrée. Il a pris toutes les peaux. Celle de sa mère est à part, pour ne pas prendre l’humidité des deux autres.


Elle jette un dernier regard à sa maison. A la maison de ses parents adoptifs. La maison des gens qui l’ont élevée avec des mensonges. Elle soupire. Puis elle ouvre la porte. Elle franchit le seuil pour la dernière fois. Et alors qu’elle ferme à clé, elle demande.


« Au fait, tu ne m’as pas dit. Je sais que tu es commercial de la même entreprise que là où travaille ma mère. Que je vais probablement y travailler aussi bientôt. C’est quoi ? »


Il éclate de rire.


« En fait, c’est une entreprise de fourrures et cuirs, réputée parce qu’on traite les animaux humainement… Quand on fournit aussi facilement la matière première, sans avoir à passer par l’abattage et le reste, c’est plutôt sympa. Et tu n’imagines pas les bénéfices quand il suffit de manger deux steaks pour se remettre du dépeçage. »



Elle rit à son tour. Logique. Une nouvelle vie qui commence. Le moment de faire peau neuve.

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